Nos professeurs vont-ils disparaitre?

Ou comment l’intelligence artificielle transforme l’éducation et questionne les états.

The Martian Chronicles
5 min readNov 23, 2020

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Le moins qu’on puisse dire c’est que la crise du COVID vient de virtualiser nos chers professeurs! D’ici à les remplacer par une IA (Intelligence Artificielle), il n’y a qu’un pas, non ? Admettez que les algorithmes ont fait des progrès spectaculaires et s’immiscent discrètement dans notre quotidien : conduire une voiture, faire parler des humains qui n’existent pas, interpréter une radio des poumons, rédiger automatiquement des articles de news, battre les meilleurs joueurs de GO du monde alors que cela était réputé impossible il y a seulement 10 ans. Et ce n’est que le début.

L’IA peut-elle révolutionner l’éducation ?

Les techniques dites d’intelligence artificielle portent en elles des améliorations massives de notre système éducatif :

  • réussir enfin la personnalisation de l’éducation à l’échelle du pays, à un coût acceptable. L’IA permet d’adapter automatiquement les parcours (Adaptive Learning), de délivrer du tutorat numérique, de réaliser des tests corrigés automatiques, de détecter les élèves en difficultés ou ceux qui ont trop d’avance — Libérant ainsi du temps au professeur sur des tâches administratives, des corrections, du temps éducatif improductif et influant positivement sur la motivation des élèves.
  • améliorer l’adéquation compétences/formations/emplois grâce à de puissants algorithmes de matching. Imaginez une correspondance quasi-parfaite entre le contenu des formations initiales ou continues et le marché de l’emploi à moyen terme. Non seulement cela pourrait réduire le chômage et créer de la valeur économique mais aussi développer les processus de formation tout au long de sa vie.

Le budget de l’éducation est le premier budget de l’état. Son optimisation conduirait à des milliards d’euros d’économies à réinvestir pour former mieux une plus grande partie de la population nationale ou internationale.

Les professeurs seront-ils encore utiles ?

Pour le comprendre il faut bien avoir conscience de ce qu’est une IA actuellement. Ces algorithmes visent à reproduire le comportement humain dans de nombreux domaines : le raisonnement, la prédiction, les sens (surtout vue et écoute), l’action (avec les robots). Ils le font avec une grande puissance, supérieure aux capacités humaines, mais comportent deux grandes limitations :

  • le machine learning repose sur l’analyse de données abondantes (big data). Si elles sont corrompues ou insuffisantes, les résultats seront erronés.
  • l’IA est une machine qui sait bien faire ce pourquoi elle a été conçue. Mais elle généralise difficilement les problèmes, a du mal à créer de nouvelles connaissances et ne comprend — et ne ressent pas — pas les émotions. Du moins, pas encore ;-)

Dans ce contexte, nos professeurs, dont le temps promet d’être libéré, pourront modifier leurs pédagogies et réserver leur temps pour des tâches manuelles, hyper créatives (dessin, musique, théâtre, littérature), de contrôle des algorithmes, ou des tâches qui demandent de l’intelligence émotionnelle : réguler la dynamique du groupe, susciter l’entraide, encourager, développer l’esprit critique (notamment vis à vis de l’IA elle même), mettre en relation les enseignements.

Nous n’y sommes pas. Face à des siècles de traditions pédagogiques, gardons nous de prophétie excessives ! Oui, le changement vers une nouvelle hybridation IA/Humain et présentiel/distanciel est en marche, en formation comme dans le travail. Oui, les transformations sont assez rapides dans le monde professionnel. Pour la société que je dirige, Teach on Mars, le traitement des données, associé à la conception d’algorithmes performants font maintenant parties des enjeux majeurs pour le futur.

Mais, à l’échelle d’un état, cela va prendre du temps car les problématiques posées sont extrêmement complexes.

Comment ces changements questionnent-ils les politiques nationales et mondiales?

Je vois trois challenges majeurs à relever pour nos responsables politiques :

Challenge #1 : La fracture numérique
Si ce point est mal adressé, la technologie accentuera les disparités sociales au lieu de démocratiser la formation et causera de nombreuses pertes d’emploi. Tout le monde a t’il le matériel nécessaire, les bonnes infrastructures de communication? Les élèves, les professeurs sont-ils formés aux nouvelles pratiques? Des millions de gens sont concernés. Les programmes éducatifs sont à repenser pour prendre en compte les compétences du 21ème siècle. L’état doit certainement aider les institutions éducatives et organismes de formation à réussir leur transformation digitale via des prêts ou subventions d’investissement. Pour reformer la population, il faut commencer par reformer nos formateurs.

Challenge #2 : Le contrôle et la protection des données
L’éducation est l’instrument du soft power. Laisser la collecte et le contrôle des données à des sociétés privées (les GAFA par exemple) est une question à considérer. A minima, nos politiques doivent réfléchir aux régulations, normes et lois qui protègeront la vie privée des citoyens et permettront d’organiser au niveau national ou européen des bases de données et des algorithmes de matching ou d’adaptative learning. La question de la souveraineté numérique est une nouvelle fois posée. Celui qui contrôle les données et les algorithmes, contrôle le pouvoir. Accentuer la recherche sur l’IA, favoriser l’innovation et l’éclosion de startups, mettre en place des dynamiques de recherche collaborative à l’échelle du continent sont des actions nécessaires.

Challenge #3 : L’organisation de la formation tout au long de la vie des citoyens
Afin d’améliorer l’employabilité, la formation devra constituer un continuum tout au long de la vie. Cela suppose une réorganisation du marché de la formation avec probablement une meilleur alternance travail/étude, des cycles de formation plus courts, une meilleure concentration des établissements pour faire face à une compétition internationale et proposer une offre variée et un réseau social pour la formation et l’emploi puissant. Demain la formation s’achètera peut-être par abonnement?

A noter que le numérique est une source de pollution méconnue et invisible et que cette révolution devra s’accompagner d’une réflexion sur les aspects de développement durable.

Nos professeurs vont-ils disparaitre ?

Oui. Ceux qui ne s’adapteront pas à ces nouveaux enjeux vont disparaitre. Mais ces changements se dérouleront progressivement sur des dizaines d’années et chacun a le temps d’acquérir les nouvelles compétences nécessaires et d’imaginer la formation de demain, augmentée des nouvelles possibilités de l’IA.

Plus important encore, nos consciences citoyennes doivent s’aiguiser face aux nouvelles problématiques politiques et sociales.

« Science, sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait Rabelais dans la bouche de Pantagruel. Cet aphorisme n’a jamais été autant d’actualité. C’est notre responsabilité d’inventer l’éthique qui accompagnera ces progrès techniques. Les 3 lois de l’éducation digitale ?

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The Martian Chronicles

Vincent Desnot. Computer engineer. Passionate entrepreneur & sailor. Founder & CEO of Teach on Mars (2013), the mobile learning European leader.