La formule mathématique de l’engagement en formation digitale

Ou la redécouverte inopinée des bases de la science comportementale.

The Martian Chronicles
5 min readFeb 22, 2021

C’était un dimanche matin comme beaucoup d’autres sur la Côte d’Azur. Je buvais tranquillement mon café sur la terrasse, profondément installé dans un confortable fauteuil, écoutant le chant des oiseaux, rêvassant, me laissant réchauffer par les premiers rayons du soleil.

Un instant, mon regard se posa sur mon téléphone rouge métallique avec une petite pomme argentée sur le dos. Il était posé sur une table un peu plus loin, presque à portée de ma main droite.

A ce moment précis, ma main gauche était négligemment étendue sur un bon livre sur le réchauffement climatique que j’avais commencé la veille et que je m’apprêtais à poursuivre, mû par une (bonne?) conscience en recherche de compréhension et de solutions.

Une pensée — presque un défi! — me vint alors à l’esprit : quelles sont les forces à l’oeuvre qui seraient assez puissantes pour faire fonctionner mon triceps brachial droit et me commander d’attraper cet objet rouge afin de satisfaire cette même soif de savoir au service de mes envies ?

C’est alors que j’eu une révélation …

Une brève histoire du e-Learning

Ne m’en voulez pas, mais avant de vous livrer ma révélation, je dois vous donner quelques éléments de contexte qui ont influencé ma pensée ce matin-là.

Voilà quelques années (22 pour être précis) que j’exerce le métier d’ingénieur-entrepreneur dans ce qui est devenu l’industrie de la formation digitale.

J’ai été acteur et spectateur de plusieurs vagues d’innovations qui ont chacune fait avancer notre compréhension collective de la bonne utilisation des technologies digitales en formation, mais sans jamais vraiment résoudre correctement la problématique de l’engagement des utilisateurs, c’est à dire sans obtenir qu’ils utilisent régulièrement et avec satisfaction les (coûteux) systèmes en place pour apprendre mieux et progresser plus efficacement dans leur métier.

Les premières années — situons-les entre 1998 et 2007 — étaient les années héroïques! La nouveauté de ces technologies et la fabuleuse promesse du e-Learning — mettre le savoir à portée de tous — alimentaient notre enthousiasme et permettaient d‘honorables taux de déploiement au départ. Mais l’engagement n’était pas vraiment au rendez-vous dans les LMS (Learning Management System). Approche pédagogique trop calquée sur le présentiel, vision très mécanique de la formation écartant l’humain du système, logiciels et investissements conséquents et finalement résultat assez élitiste.

Vint alors le temps de la désillusion (2008–2017) et son cortège de buzzwords et tentatives, parfois pertinentes, pour ramener “l’apprenant” dans le logiciel : gamification, serious games, social-learning, learning in the flow of work, blended-learning, micro-learning, mobile-learning … Si toutes ces innovations incrémentales ont permis d’améliorer “l’expérience utilisateur”, force est de constater qu’il manque manifestement une pièce au puzzle car, au dire de nombreux responsables L&D (Learning & Development), l’engagement est encore en dessous de leur espérance et le retour sur investissement se fait attendre (à l’exception notable de la formation métier).

A partir de 2018, vient le temps des robots. L’intelligence artificielle arrive telle la cavalerie et promet une correspondance parfaite entre les besoins et les opportunités de formation. A l’instar d’une plateforme de rencontre amoureuse, les algorithmes vont enfin nous connecter avec les ressources pédagogiques de nos rêves. Ils gonflent aux stéroïdes les LXP (Learning eXperience Platform) qui a grands coups (ou coûts) de connecteurs mettent de l’ordre dans le grand bazar des LMS d’entreprises et proposent des milliers de contenus dans une interface “à la Netflix”. C’est donc ça le paradis de la formation digitale ? Plein de contenus et des algorithmes pour nous les prescrire? On ne jure plus que par “l’upskilling”, c’est à dire la montée en compétence en continue, hors plan de formation.

Mais quand on demande aux apprenants qui ont tenté l’eXperience, la réponse est souvent la même “la plateforme a l’air top, mais je n’ai pas encore eu le temps d’y aller.”

Après un quart de siècle d’efforts de la part des éditeurs de logiciel, des éditeurs de contenus digitaux et de leurs clients, le problème numéro 1 de la formation digitale reste celui de l’engagement des utilisateurs.

Pourquoi?

La révélation

Oublions cette digression et reprenons le fil de notre histoire.

“C’est alors que j’eu une révélation”, disais-je.

E = MC2

Tel un Einstein du dimanche, j’eu cet éclair de génie! E = MC2 !

Engagement = Motivation * Capacité * Coup de coude

J’entends déjà les plus érudits d’entre vous crier au scandale, me faire un procès en plagiat, m’accusant de voler la formule magique du Docteur BJ Fogg, responsable du “Behavior Design Lab” à Stanford University.

Ils n’ont pas tort.

Je devine les autres lecteurs, incrédules, se demandant tout de même si il ne faudrait pas me laisser continuer mon histoire. Car si cette formule peut résoudre le problème de l’engagement en formation digitale, ne mérite-t’elle pas que l’on s’y intéresse?

Ils n’ont probablement pas tort non plus.

La formule de l’engagement

En effet, des années d’observation et de débats passionnés entre professionnels (clients, apprenants ou fournisseurs) m’amènent à dire que si nous avons fait beaucoup de progrès depuis 20 ans, nous avons bien travaillé sur la technologie, mais pas assez sur le facteur humain. Et là réside probablement la cause de notre problème d’engagement.

Commençons par définir les termes de l’équation.

Engagement = Motivation * Capacité * Coup de coude

L’engagement désigne le comportement attendu : profiter de cette débauche de technologie, de cet accès à des milliers de contenus de formation, de ces connexions à des experts, mentors ou des collègues pour apprendre un peu plus, un peu mieux chaque jour et réaliser pleinement et plus efficacement son potentiel professionnel. La direction générale, par l’entremise du responsable “L&D”, espère ainsi améliorer l’adaptabilité et la compétitivité de l’entreprise, en plus de satisfaire et garder ses meilleurs éléments.

Le Coup de coude (en anglais nudge), c’est le signal qui va nous inviter à passer à l’action.

La Capacité, c’est la possibilité que nous avons de le faire : le temps, l’argent, l’accès facile, …

La Motivation, c’est le désir, l’envie de passer à l’action.

La théorie comportementale de Fogg stipule que l’engagement existe si les trois éléments de l’équation sont réunis au même moment : un signal, une capacité à y répondre et la motivation pour le faire.

Cela semble assez évident à l’énoncer ainsi, mais cela veut surtout dire que la technologie ne suffit pas à créer l’engagement. Je vous imagine déjà en train de vous dire que l’auteur de cet article enfonce des portes ouvertes!

Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de décideurs que j’ai rencontrés dans ma vie professionnelle et qui pensent qu’acheter le logiciel suffira à obtenir les bénéfices attendus. Ce sont probablement les mêmes qui ont fait les beaux jours de la méthode Assimil, sans jamais dépasser la 3ème leçon.

Epilogue

Revenons maintenant à mon dimanche matin sur la Côte d’Azur.

Je me demandais donc quelles étaient les forces qui pourraient me mouvoir au point d’attraper mon téléphone portable afin d’y passer quelques minutes à en apprendre plus sur le réchauffement climatique.

Quel rôle joue la motivation? Comment la nourrir? Quels sont les “coups de coude” qui fonctionnent? En quoi la capacité permettra de transformer cette envie en action? Autant de questions mêlant technologies et facteur humain.

C’est l’esprit un peu embrumé par toutes ces pensées, que je finis par actionner mes muscles iso-jambiers et me lever de mon fauteuil, non pas pour attraper mon smartphone, mais pour me jeter dans une bonne douche matinale propre, je l’espérais, à réveiller mes neurones.

C’est là que j’eu une seconde révélation!

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The Martian Chronicles

Vincent Desnot. Computer engineer. Passionate entrepreneur & sailor. Founder & CEO of Teach on Mars (2013), the mobile learning European leader.